dimanche 3 mai 2009

Académie De Roberval: une école pour raccrocher les gangs de rue

Murielle Chatelier
Reflet de Société
Janvier 2009

N.B. Ce texte s'est mérité une 2e place lors de la remise des Prix de l'Association des médias écrits communautaires du Québec 2009, dans la catégorie Entrevue. Cet événement s'est tenu le 2 mai 2009, dans le cadre du 28e congrès annuel du regroupement.

Le phénomène des gangs de rue n’a rien de nouveau pour le directeur d’une école publique du quartier Villeray. Au début de son mandat à l’école De Roberval, en 1992, Gérard Jeune a du composer avec plusieurs jeunes provenant de ce milieu criminalisé. Avec humilité, il raconte comment il a malgré tout fait le pari de développer chez ses élèves un véritable sentiment d’appartenance et de doter son école d’une meilleure réputation.

En arrivant à l’école secondaire De Roberval, Gérard Jeune savait qu’il y aurait beaucoup de travail à faire. Les actes de violence perpétrés dans cette école publique avaient trouvé écho dans le monde scolaire, et plusieurs membres de gangs de rue se trouvaient parmi ses élèves.

«Ce que j’ai trouvé à De Roberval, ce sont des jeunes issus en majorité de ma communauté (haïtienne) qui avaient besoin d’un modèle, d’une raison de se comporter comme il faut», dit posément Gérard Jeune, le directeur de l’école du quartier Villeray, qui se nomme aujourd’hui Académie De Roberval.

Gang de rue: sous haute surveillance

Quelques mois avant son arrivée à De Roberval, un affrontement sanglant entre deux bandes rivales d’étudiants avait retenu l’attention de tout le personnel de la Commission scolaire de Montréal (CSDM) et des comités de liaison de la communauté haïtienne. Cinq jeunes avaient été blessés lors de cette violente bagarre, à la machette, orchestrée dans un wagon du métro, entre les stations Fabre et Jean-Talon. L’un d’eux avait même sombré dans le coma.

«On m’a pressenti comme étant l’homme de la situation, se rappelle le directeur. Avec mon poste de directeur adjoint pendant 3 ans à l’Académie Dunton, j’avais fait la preuve que je n’avais pas froid aux yeux et que je n’hésiterais pas à brasser les choses.»

C’est sans baisser la tête qu’il a entrepris sa première action à De Roberval: changer tous les cadenas. «Je savais que certains élèves avaient des armes. Avec un cadenas fourni par l’école, je détenais toutes les combinaisons et je pouvais vérifier le contenu de chaque casier.»

Implacable, il suspendait chaque élève armé. «J’avais des étudiants à l’œil. Je fouillais leurs casiers avant d’aller les chercher en classe pour qu’ils viennent eux-mêmes les ouvrir devant moi. Je ne me suis jamais contenté d’être un directeur présent. Je suis un directeur visible.»

Et il se faisait voir jusque dans le métro Fabre, situé à deux pas de l’école,
où il suivait ses élèves pour s’assurer qu’ils ne s’attroupent pas et qu’ils quittent bien le territoire de l’école. «Je n’avais aucun contrôle sur ce que faisaient mes jeunes en dehors de l’école. Mais tant qu’ils étaient sur mon territoire, et le métro en faisait partie en raison de sa proximité avec l’école, je ne tolérais aucun écart de conduite, et chacun le savait.»

Fini aussi les va-et-vient de jeunes qui ne fréquentaient pas l’école. Le mot était passé à l’extérieur. Et personne n’a osé se pointer pour défier l’autorité de ce directeur à la poigne de fer. Un régime de la peur? « Le fait d’être haïtien a beaucoup joué pour me faire accepter et surtout pour que les jeunes ne me considèrent pas comme leur ennemi. Ils me respectaient, même ceux qui ne fréquentaient pas l’école. Je pense que mon approche humaine a fait toute la différence. »

Un directeur à l’écoute des jeunes

«Si vous saviez le nombre de problèmes personnels que j’ai réglés dans ce bureau », dit M. Jeune, une lueur d’amusement dans les yeux à l’évocation de cet aspect de son rapport avec les jeunes. Toutes les tactiques étaient bonnes pour se tenir proche de ses ouailles.

«Parfois, je convoquais l’ami d’un élève en difficulté pour lui parler. Je sais que certains jeunes sont plus enclins à écouter des jeunes de leur âge. Comme ça, je m’assurais au moins que le message passe de façon efficace.»

Dans cette petite école de 500 âmes, aucun élève n’était un numéro. «L’un d’eux est arrivé ici avec le risque d’être emprisonné pour une accumulation de contraventions. Pour tenter de trouver une solution, je suis allé voir ses parents - en conduisant si vite pour être à l’heure que j’ai moi-même eu une contravention!
Ils étaient dans l’impossibilité de payer cette dette et s’étaient résignés à laisser leur enfant se faire emprisonner. Une chose m’apparaissait évidente: cet élève serait mieux à l’école que derrière les barreaux. Alors, j’ai payé de ma poche pour régler ce problème.»

Ces confidences dans le bureau du directeur n’étaient certainement pas le fruit du hasard. «J’ai été sévère avec les élèves de cette génération, mais je les aimais, et je suis persuadé qu’ils le savaient. Je voulais qu’ils réussissent leur vie, et j’ai été chercher tous les appuis possibles, autant auprès des enseignants que des élèves. Nous avons tous travaillé très fort.»

Contrer les gangs de rue: une vie étudiante bien remplie

Pendant un court instant, ses yeux s'immobilisent sur une caméra de surveillance suspendue en face de son bureau. Avec un léger sourire, il dit: «Vous voyez, ces jeunes-là, je vais devoir les faire sortir de l’école pour qu’ils rentrent chez eux. Ils aiment ça être ici.» En effet, sur l’écran, plus d’une heure et quart après le dernier son de cloche, des élèves se disputent joyeusement une partie de air-hockey dans le «foyer» de l’école. «Si un étudiant n’a pas de sentiment d’appartenance, il n’aura aucune motivation pour venir à l’école. Et c’est pour ça que j’ai instauré une vie étudiante diversifiée au sein de mon école.»

Une table de ping-pong installée en plein cœur du lieu de rencontre des étudiants a servi de premier pont entre ce directeur et ses élèves. Aujourd’hui, les élèves jouissent de cinq tables de jeu, ping-pong, baby-foot et air-hockey, d’une radio étudiante et d’une salle de cinéma qui se transforme en mini auditorium pour les danses du vendredi. Un technicien en loisirs a été embauché à temps partiel pour superviser ces activités.

Il ne se passe presque pas une semaine sans qu’un des anciens élèves de Gérard Jeune ne lui rende visite. Et comme pour lui donner raison, deux étudiants de la promotion 1994-1995 font le pied de grue devant le secrétariat à mon entrée dans
l’école. L’un d’eux, un banquier qui vit à Vancouver, était prêt à attendre M. Jeune des heures s’il le fallait.

Une nouvelle réputation, sans gang de rue

Depuis l’implantation en 1996 d’un projet éducatif qui consiste à sélectionner les meilleurs étudiants en les soumettant à un examen d’entrée, les perceptions envers cette école publique ont changé. «En plus de sélectionner les étudiants, l’Académie De Roberval s’est aussi dotée d’un code vestimentaire. Ces initiatives ont nettement contribué à notre notoriété.»

Dans les classements des écoles publiques, l’académie fait bonne figure et se positionne parmi les établissements les plus performants. «Depuis deux ans, on reçoit tellement de demandes qu’on est obligés de tenir deux soirées de portes ouvertes, et le gymnase se remplit à craquer à chaque fois. Quand c’est le moment des inscriptions, les files d’attente s’étirent jusqu’à l’extérieur du bâtiment. Je dois l’avouer, ça me fait vraiment plaisir ce succès», raconte Gérard Jeune en savourant les efforts qu’il a mis pour redorer son école.

mercredi 22 avril 2009

Québécoise pure laine


Murielle Chatelier
Reflet de Société
Vol.17 No.3 Avril / Mai 2009


Comme bien des immigrants de 2e génération – c’est ainsi qu’on nomme officiellement les Québécois nés de parents immigrants – je me suis longtemps questionnée sur mon identité. Élevée à cheval entre deux cultures, celle de mes parents, originaires d’Haïti, et celle de leur terre d’accueil, j’arrivais difficilement à me définir. Québécoise ou Haïtienne? À 29 ans, cette quête incessante, grandissante et profondément troublante m’a amenée à faire un long séjour dans mon pays d’origine. Six mois à la recherche de mon second moi.

Les prétextes pour expliquer mon départ soudain vers la terre natale de mes parents furent nombreux. Opportunité d’emploi intéressante, besoin de changer d’environnement, envie de découvrir mes racines… La vérité, c’est que je ne savais plus où j’en étais. Dès mon adolescence, j’ai été marquée par de pénibles remises en question, au point de passer de longues heures à marcher dans les rues, avec mon lourd fardeau de questions sur le dos. Le melting pot des valeurs transmises par mes parents et de celles propres à la culture québécoise m’a toujours confondue et embrouillé l’esprit. Mais c’est lorsque j’ai intégré le marché du travail que cette quête a atteint un point culminant et est devenue intenable.

«Toi, t’es née où?», «Est-ce que tu comptes retourner dans ton pays un jour?», «Depuis combien de temps es-tu arrivée au Canada?», «Comptes-tu t’établir en banlieue comme une bonne partie des immigrants?», voilà autant de questions auxquelles j’ai eu droit de la part de mes collègues, alors que je suis bel et bien née au Québec, à Montréal. Et même, avant l’année 2007, je n’avais jamais mis le pied dans le pays de mes parents. À la longue, ces questions ont fait naître en moi un sentiment de frustration, surtout parce que j’ai toujours évolué dans la même société que mes confrères. Alors, à un moment, je me suis mise à penser que chez moi, c’était peut-être ailleurs.

Immigrante pour la première fois

Au début, quand je suis arrivée à Port-au-Prince, j’étais euphorique. Je sentais qu’on ne pouvait que m’accepter, parce que après tout, j’étais une des leurs. Pourtant, j’ai rapidement compris que pour les Haïtiens, j’étais l’étrangère. Oui, même sans avoir à ouvrir la bouche, on devinait que je n’étais pas du pays. Quand je marchais dans les rues, on me dévisageait l’air de dire : «Oh! Regarde l’étrangère.» Une fois, assise par terre dans un marché, au milieu des marchandises, un passant m’a pointée du doigt en disant : «C’est une diaspora (c’est ainsi qu’on appelle là-bas les Haïtiens nés à l’étranger).»

Pour survivre, je m’étais déniché un emploi de journaliste dans le plus grand quotidien de la place, Le Nouvelliste. Dans une ambiance de travail des plus décontractées, je me suis fait de nombreux amis. Même si je ne comprenais pas souvent les expressions qu’ils employaient - je maîtrise le créole, mais comme dans chaque culture, les expressions sont très «locales» - les échanges allaient bon train entre nous. Mais là encore, nos mentalités et nos préoccupations respectives étaient si diamétralement opposées que je me sentais seule dans mon coin, malgré les rires francs qui animaient nos conversations.

L’un de nos points de divergence était justement ma nationalité. Après quelques semaines passées dans la capitale, il ne faisait plus aucun doute dans ma tête que je ne pouvais pas me déclarer Haïtienne. Au contraire, j’avais plus envie de me dissocier de ce peuple que d’en faire partie. Le désordre généralisé dans lequel se trouve le pays, le manque de civisme des citoyens dans les rues, cette façon que les commerçants avaient de m’escroquer impudiquement parce qu’on supposait que j’avais plus d’argent que la moyenne, tout ça m’horripilait.

Pour mes collègues, animés d’un sentiment d’appartenance qui frise le fanatisme, c’était une trahison de dire que je me sentais plutôt Québécoise. Ils ne pouvaient pas comprendre que je ne sois pas habitée du même sentiment de fierté qu’eux, qui font partie de la première république noire à avoir acquis son indépendance. C’était en 1804. Moi, je vis en 2009. Et ça, c’était encore un point qui nous éloignait : ils vivent continuellement dans l’orgueil des gloires du passé, alors que les défis du présent m’importent plus.

Mes parents

D’ailleurs, c’est justement ce même passé qui est à la base de la mentalité de mes parents, et c’est ce que j’ai compris lors de ce voyage. Dans mon jeune âge, ils ne faisaient qu’appliquer ce que leurs propres parents leur avaient appris. Mais ils avaient peut-être oublié que les choses avaient évolué depuis, et que mon environnement n’avait rien à voir avec le leur. C’est malheureusement le cas de beaucoup de parents immigrants.

L’une des mesures disciplinaires prisées par mes parents était de m’empêcher de sortir, comme pour aller au parc avec ma sœur ou au cinéma avec mes amis. Selon leur façon de voir les choses, «l’extérieur» est une sorte de jungle où on peut facilement être amené à sortir du droit chemin, où les influences néfastes pullulent. Ce raisonnement qui m’emprisonnait a donné lieu à des scènes familiales orageuses dans notre foyer. Pour moi, l’extérieur est plutôt un lieu de découvertes. Mais en Haïti, j’ai bien vu que la mentalité de mes parents prévaut encore, parce que les sorties des enfants sont très limitées, et pour les mêmes raisons que naguère…

Mais j’ai aussi fait une merveilleuse découverte à propos de mes parents. Avant d’avoir visité la campagne où ils ont grandi, je ne me suis jamais intéressée à leur émigration vers le Canada. Aujourd’hui, je réalise plus que jamais le courage qu’ils ont eu de partir de si loin uniquement pour offrir un meilleur avenir à leurs enfants. Une campagne où les commodités modernes n’existent pas, où la pauvreté sévit, où les espoirs se sont depuis belle lurette envolés. Mes parents se sont tenus debout, et ont franchi toutes les frontières pour atterrir à Montréal. Mon père est arrivé avec à peine 100 $ en poche, en 1972. Avec acharnement, il a travaillé pour rapatrier ma mère, en 1974. Tout ça, pour épargner leurs enfants d’une vie de misère.

Qui suis-je maintenant?

À 31 ans, je ne me demande plus qui je suis, mais bien ce que je veux être. Bien sûr, ça me fatigue et m’irrite qu’on me demande encore d’où je viens. Certes, ma relation avec mes parents n’est pas idyllique. Mais j’ai saisi le pourquoi de leur périple, et par le fait même, les raisons qui font de moi un mélange de deux cultures. Vous savez, j’aurais pu grandir en Haïti, j’aurais pu être coincée dans ce pays, j’aurais pu ne pas pouvoir rêver comme je le fais, j’aurais pu être condamnée à l’indigence. J’étais à deux doigts de cette vie-là.

En me faisant naître au Québec, mes parents m’ont donné toute une liberté. Après avoir passé six mois dans leur pays, je sais que le temps n’est plus au questionnement. En fait, l’unique désir que mes parents aient tenté de m’exprimer, souvent maladroitement, c’est celui de me voir profiter de ma vie au maximum, et d’exploiter tous mes atouts. Ils m’ont transplantée ici pour ça, pour m’offrir cette opportunité. Alors, maman et papa, je vous le jure que j’ai compris maintenant. Et ce que je veux être, c’est ce que vous avez fait de moi : une citoyenne du monde.

mardi 18 novembre 2008

Des clowns rassurants

Murielle Chatelier
Le Journal de Montréal
18 novembre 2008

En plus d’émerveiller les patients et de mettre un baume sur leurs douleurs, la présence des clowns thérapeutiques dans les hôpitaux détend aussi le personnel soignant.

Réalisée dans le cadre d’un projet pilote, une étude conjointe entre le département de radio-oncologie de l’hôpital Notre-Dame et l’organisme Dr Clown dévoile que les médecins et les infirmières sont moins stressés au contact des clowns-docteurs.

Résultats positifs

«Les résultats préliminaires de cette étude montrent que nos interventions à Notre-Dame ont eu un impact positif sur le personnel soignant», soutient Florence Vinit, la directrice psychosociale de l’organisme Dr Clown, en précisant que l’étude ne sera disponible que dans quelques semaines.

Selon elle, 60 % des employés ont trouvé que la présence de ces clowns a été bénéfique pour leur département, et 67 % y ont trouvé un bénéfice à un point de vue personnel.

«Parmi les commentaires recueillis, plusieurs ont mentionné que leur climat de travail a été allégé et qu’ils étaient de meilleure humeur», note la spécialiste.

Une formule qui plaît

L’organisme, qui oeuvre principalement dans des centres d’hébergement pour personnes âgées et dans des hôpitaux pour enfants, compile aussi depuis 2001 des bilans d’évaluation de la satisfaction des employés.

Du côté des centres d’hébergement, 52 % se disent ravis du travail de ces artistes qui usent d’humour, d’imaginaire et de tendresse pour détendre les patients, et 71 % souhaitent que cette expérience se poursuive.

En pédiatrie, la présence des clowns semble être plus que souhaitable. Plus de 97 % du personnel soignant aimerait que ce projet continue.

«Les clowns aident à établir une meilleure relation entre le médecin et l’enfant qu’il soigne», explique Mme Vinit.

«Par exemple, après les piqûres, le clown les accompagne tous les deux, et quand le médecin sourit avec l’enfant, il est perçu autrement que le "soignant qui fait juste mal".»

Du rire pour les employés

Avec ces résultats, l’organisme souhaite faire des interventions plus globales, où le personnel soignant sera pris en considération. «On a des retours qui nous disent que c’est important pour eux», affirme Mme Vinit.

Les 23 clowns thérapeutiques de l’organisme Dr Clown visitent chaque semaine huit centres d’hébergement et trois hôpitaux pour enfants.

mardi 9 septembre 2008

L'Université pour la Paix

Murielle Chatelier
Reflet de Société
Vol.16 No.6 Sept. / Oct. 2008

L’importance de vivre dans un monde en paix, voilà ce qu’on enseigne à l’Université pour la Paix (UPEACE). Au terme de cet apprentissage, la seule arme dont disposent les étudiants pour éviter et résoudre les conflits, c’est leur diplôme.

À UPEACE, on croit fermement que les jeunes de toutes les cultures du monde devraient partager le même idéal pacifiste. C’est dans cette optique que, depuis le début des années 2000, l’établissement recrute ses étudiants aux quatre coins de la planète. « Si les jeunes du monde entier partagent la même vision du respect des droits humains et s’engagent à participer à un développement durable, nous pouvons espérer vivre dans un monde plus harmonieux », sous-tend le recteur de UPEACE, M. John J. Maresca.

Chaque année, le nombre d’admissions dans cette université augmente. « L’intérêt pour ce type d’apprentissage croît de façon fulgurante », assure le recteur. UPEACE est la seule institution affiliée à l’Organisation des Nations Unies (ONU) autorisée à décerner des diplômes d’études supérieures sur la paix et sur la résolution de conflits.

Depuis 2003, plus de 45 Canadiens ont suivi un programme sur la paix. « Nous sommes vraiment très fiers que tous ces jeunes Canadiens soient venus étudier chez nous, déclare M. Maresca. Leur pays nous a tellement soutenu dans nos efforts. » Les rapports privilégiés entre l’université et le Canada devaient d’ailleurs se résulter par l’implantation du premier programme universitaire à l’extérieur du campus de Costa Rica. Un projet qui n’a pas pu voir le jour sur notre territoire, freiné par un processus trop long.

D’étudiants à promoteurs de la paix

Les diplômés de UPEACE sont formés pour devenir des leaders qui peuvent changer le monde. Nombre d’entre eux occupent des postes clés qui les amènent à combattre les conflits, la violence et les inégalités sociales. « Nos leaders ne deviendront pas tous des premiers ministres, dit M. Maresca avec une pointe d’humour. Un leader est avant tout quelqu’un qui sait ce qui est bien, et qui fait tout pour s’assurer que ses actions vont en ce sens. »

Le Kényan Dan Juma, diplômé de la promotion 2006 en Loi internationale et droits humains, est très actif sur la scène internationale depuis la fin de ses études. À titre d’expert, il a été invité à commenter le conflit qui sévit au Kenya sur les ondes du réseau anglais de Radio-Canada, CBC. Toujours au même titre, il a aussi participé à la Conférence mondiale sur la prévention du génocide, tenue du 11 au 13 octobre 2007 à l’Université McGill.

« Une éducation basée sur la paix est essentielle, estime M. Maresca. Nos étudiants font face à leurs défis avec courage, et avec ce qu’ils ont appris à l’Université pour la Paix. » La majorité de leurs diplômés travaillent au sein d’organisations non gouvernementales (ONG), tandis que d’autres sont employés par l’ONU ou deviennent des enseignants. À une échelle plus individuelle, les promoteurs de la paix rencontrent les mêmes défis quotidiens que tout citoyen soucieux de vivre dans une société d’égalité et de paix.

Une brochette d’enseignants

Tout comme les étudiants admis à UPEACE, le personnel enseignant sur place en permanence provient de partout dans le monde : Égypte, Suisse, Salvador, Pérou, France, pour ne nommer que ces pays-là. Leurs expériences distinctes font d’eux des ressources diversifiées dans un environnement des plus multiculturels. Toute une richesse pour ces étudiants qui seront amenés à étudier les conflits de nombreux pays dans le cadre de leurs fonctions.

Les personnalités internationales qui se déplacent pour enseigner pendant de courtes périodes à UPEACE sont des experts dans leur domaine. Plusieurs Canadiens figurent sur cette liste, dont le Dr Gerald Caplan, un analyste et activiste politique mondialement reconnu. Il se spécialise notamment dans les questions africaines, particulièrement dans celles qui portent sur les génocides. Titulaire d’un doctorat en histoire africaine, il est l’auteur du rapport très médiatisé Rwanda, The Preventable Genocide (ou en français, Rwanda, le génocide qu’on pouvait prévenir).

Main dans la main avec l’ONU

Bien que UPEACE ait vécu des années difficiles, l’ONU a reconnu ses importants progrès et a demandé un renforcement de leur coopération en 2006. Une résolution a donc été adoptée par une commission et le texte stipulait : « Avec les efforts accomplis pour revitaliser et pour renforcer l'université, elle est aujourd'hui, plus que jamais, un centre international spécialisé dans l'éducation, la formation et la recherche sur toutes les questions liées à la paix et au conflit ».

Pour rester en dehors de toute lutte politique et pour conserver sa vocation strictement académique, l’université a été dotée d’une charte et elle s’assure depuis toujours de son indépendance financière vis-à-vis de l’ONU. Il n’en demeure pas moins qu’à la base, les programmes dispensés par UPEACE sont inspirés par la culture de cette organisation mondiale et l’université cherche à en soutenir les mêmes objectifs. Dans son dépliant publicitaire, l’établissement indique que « UPEACE est un membre de la famille onusienne » et se réjouit de bénéficier quand même d’une liberté d’action.

Des programmes accessibles à tous

En plus d’offrir à ses étudiants des programmes qui mènent à l’obtention d’une maîtrise, UPEACE offre aux organismes des ateliers et des formations de courte durée sur la paix et sur la résolution de conflits. À travers les écoles dans le monde, l’université met à la disposition des enseignants du matériel pédagogique. Toute personne intéressée peut aussi suivre une formation à distance ou se procurer une série de livres sur la paix.

L’une des missions principales de UPEACE est de rendre son enseignement accessible à tous. L’université est présente à plusieurs endroits au moyen de ses bureaux régionaux à Genève, à New York et à Addis Ababa, en Éthiopie. Des centres d’activités académiques et de recherche sont aussi affiliés à UPEACE en Serbie, en Colombie et en Uruguay.

« L’ONU nous a donné le mandat de diffuser notre enseignement à travers le monde, conclut le recteur de UPEACE. Nous croyons qu’à défaut de pouvoir le faire pour l’humanité entière, notre devoir est au moins de rejoindre tous les jeunes qui s’intéressent à ce type d’apprentissage, peu importent les frontières. »

Spécialistes du périmé

Murielle Chatelier
Le Journal de Montréal
3 septembre 2008

Alors qu'une crise de listériose et de salmonellose inquiète et secoue tout le pays, des commerçants de Montréal semblent se spécialiser dans la vente d'aliments périmés.

Deux commerces de la rue D'Amiens, dans Montréal-Nord, le Marché Miracle 110 et le Méga Dépôt, vendent des produits alimentaires dont la date de péremption remonte souvent à plus de quatre mois, voire deux ans.

Confiture, mayonnaise, olives noires et barres tendres pour enfants figurent parmi la trentaine de produits que le Journal s'est procurée jeudi sur les étagères à la propreté douteuse de ces deux magasins.

Dans un local où des aliments semblent avoir été tout bonnement «pitchés» sur les tablettes, le Méga Dépôt vend des boîtes de céréales écrasées et des vinaigrettes à l'allure inquiétante. Sans parler du pêle-mêle de vêtements, aspirateurs et autres articles.

Antiquité

Sur certains produits au Miracle 110, où la poussière a élu domicile, la durée de conservation semblait avoir été volontairement masquée.

Mais un examen approfondi a permis à la journaliste du Journal de dénicher une véritable antiquité : une sauce barbecue dont la date de péremption est... juillet 2006 !

Dans ces épiceries achalandées, les consommateurs semblent plutôt au courant des pratiques des propriétaires.

«Oui, je sais qu'on vend des produits périmés ici, dit Mme Lien, qui fait ses achats au Miracle 110 depuis cinq ans. Mais je fais attention et je trie mes aliments.»

Après une courte hésitation, une dame dans la quarantaine lance au pas de course : «L'essentiel, c'est de regarder les dates.»

Aucun empoisonnement

Le superviseur du Méga Dépôt, Adel, s'étonne que le Journal ait trouvé sur ses tablettes des produits vieux de plusieurs mois.

«D'habitude, on jette les aliments au bout de quelques jours après la date de péremption, mais pas des mois !»

Il ne se formalise cependant pas outre mesure de vendre des produits périmés à ses clients.

«Tous nos clients savent que nous vendons des produits périmés, et tant que nous n'enlevons pas les étiquettes, nous sommes dans notre droit», affirme-t-il avant de préciser que personne ne s'est jamais empoisonné avec ses aliments.

Déçu, il retourne en France

Murielle Chatelier
Le Journal de Montréal
15 juillet 2008

Malgré ses 15 ans d'expérience comme pompier en France, Ludovic Raynal doit tout recommencer à zéro pour être pompier au Québec.

«J'ai toujours dit qu'il y a des différences entre le travail d'un pompier français et celui d'un pompier québécois, mais de là à tout réapprendre ?», s'insurge M. Raynal.

Bardé de toutes les attestations possibles dans son métier - il a plus de 2 000 heures de formation à son actif -, M. Raynal a appris au cours des dernières semaines que son expérience et ses qualifications ne valent pas grand-chose au Québec.

«Les trois écoles que j'ai contactées m'ont informé que je dois suivre une formation complète si je veux travailler au Québec. Je devrais même réapprendre à enfiler ma tenue de pompier !», dénonce-t-il.

Installé dans le 4 1/2 d'une cousine, M. Raynal vit entassé avec huit autres personnes, dont sa femme et son fils.

«On ne veut pas dépenser toutes nos économies inutilement pour se loger, déclare-t-il. Même ma femme ne peut pas travailler dans son domaine comme préposée bénéficiaire, alors qu'elle l'a fait pendant 14 ans en France.»

Une équivalence qui n'en est pas une

Désireux de poursuivre sa carrière dans le seul domaine qu'il connaît, M. Raynal a demandé une équivalence de ses acquis au ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles.

Selon cette instance gouvernementale, ses acquis se traduisent au Québec par une attestation d'études collégiales en bâtiment et travaux publics.

«Déjà, c'est en dessous de mon niveau français, et en plus, je ne sais même pas en quoi consiste ce diplôme.»

M. Raynal a donc contesté l'évaluation comparative de ses études. Mais le Ministère est resté sur sa position.

Départ forcé

Arrivé en mai dernier, le pompier a déjà pris la décision de ramener son petit monde en France, à moins d'un revirement majeur. Son conteneur d'effets personnels n'a même pas encore atteint nos rives.

«C'est tout ce qu'on attend. Dès qu'il arrive, on s'en va. Comment peut-on rester au Québec dans des conditions pareilles alors qu'on est venus pour avoir une meilleure qualité de vie ?»

Des femmes bibelots

Murielle Chatelier
Le Journal de Montréal
28 mai 2008

Les femmes nues maquillées de peinture corporelle symbolisent une attraction sexy très prisée dans les soirées montréalaises, où elles font littéralement figure de bibelots.

Le body painting est de plus en plus en demande, autant dans les fêtes privées d’entreprise que lors d’événements plus glamour.

Pour ces mannequins qui déambulent pratiquement nues dans les salles de réception, leurs «tenues peintes» sont loin d’être choquantes ou vulgaires.

«Un corps de femme, c’est beau. Autant faire de l’art avec», lance Élise Lortie Grondin, une mannequin heureuse de se muer en produit promotionnel le temps de quelques événements.

À 100 $ de l’heure en moyenne, elle dévoile ses courbes lors de nombreux événements, dont une soirée organisée au Club Opéra dans le cadre de la Semaine de mode de Montréal.

Quand les hommes l’approchent pour lui demander si elle se sent bien à peine vêtue, ce qui arrive régulièrement, elle leur répond qu’elle est à l’aise avec son corps. «Et ils sont très respectueux», affirme-t-elle.

Depuis trois mois, la jeune femme de 21 ans exerce sa carrière de mannequin «body painted» parallèlement à son travail de barmaid.

Plus d’art que de nudité

Nathalie Legault, une mannequin devenue maquilleuse professionnelle, sursaute quand on parle de nudité dans le body painting.

«Quand je joue les mannequins, je porte des sous-vêtements très minces de couleur peau. Je ne suis pas toute nue!», s’exclame-t-elle.

«C’est sûr qu’il y a des gens pas très professionnels qui veulent faire un coup d’argent ou donner un gros show en laissant les mannequins complètement nues, mais dans mon agence, on est très classe», ajoute-t-elle.

Une tendance qui s’affirme

Dans le métier depuis 10 ans, Ève Monnier, une des rares peintres corporels qui exploite des agences de mannequins à Montréal, reçoit maintenant fréquemment des demandes pour du body painting.

Dernièrement, le très couru Bal de la Jonquille accueillait ses invités avec une mannequin aux seins nus simplement recouverte d’une peinture dorée et exposée sur un lit rotatif. «Les organisateurs de soirées sont à la recherche de nouveaux attraits», explique Mme Monnier.

Des animaux de la jungle aux habits gothiques, tous les souhaits excentriques peuvent être exaucés. «Les clients deviennent de plus en plus exigeants», soutient-elle.

Les mannequins qui prêtent leur corps à l’art de la peinture corporelle sont surtout des étudiantes, des modèles qui travaillent à la pige et, plus rarement, des jeunes mères de famille.

jeudi 15 mai 2008

Haïti: Le journalisme de l'indigence

Murielle Chatelier
Le Trente
Montréal, Québec

De retour d’un stage de six mois dans les médias de son pays d’origine, Murielle Chatelier constate le malaise de la presse haïtienne, qui exerce avec un minimum de ressources. Et un maximum de contraintes.

Pendant cinq mois, j’ai exercé ma profession de journaliste en Haïti au quotidien Le Nouvelliste, à Port-au-Prince. Après avoir vu certains collègues s’emprunter des piles pour leurs caméras — trop chères, surtout quand l’employeur rechigne à les rembourser —, j’ai vite compris que je serais livrée à moi-même dans cette aventure.

« La seule raison pour laquelle je suis journaliste, c’est parce que je suis profondément passionné par ce métier. » C’est ce que déclarent la majorité des journalistes en Haïti quand on les interroge sur ce qui les pousse à accepter de travailler dans des conditions dévalorisantes pour leur profession.

Dans la salle de rédaction, seulement deux postes téléphoniques, qui ne fonctionnent qu’à l’occasion. Dès que l’un d’eux se libère, on se rue dessus, si bien qu’il faut souvent renoncer à les utiliser. Il faut aussi composer avec un salaire dérisoire. Les 150 dollars consentis mensuellement ne suffisent même pas à payer le loyer. Les journalistes les plus anciens peuvent obtenir jusqu’à 400 dollars, parfois un peu plus. En fait, vivre en Haïti m’a coûté beaucoup plus cher que de vivre à Montréal, dans des conditions beaucoup plus modestes.

Les supermarchés en Haïti sont des lieux de haut luxe qui ne sont fréquentés que par les privilégiés. La bouteille de jus Oasis s’y vend près de 2,50 $, comparativement à 1,25 $ ici. Les 150 dollars de salaire? Le loyer varie entre 200 et 400 dollars… sans compter la téléphonie, qui coûte une centaine de dollars, et la nourriture, trois fois ce prix. Chaque mois, mon déficit oscillait entre 700 et 1700 dollars.

Dans les médias, le traitement salarial est au cœur des réflexions. Les journalistes sont si mal payés qu’il leur est presque impossible de se contenter d’un seul emploi. « En choisissant de devenir journaliste en Haïti, il ne faut même pas s’attendre à pouvoir se nourrir », déclare d’entrée de jeu Clarens Renois, chef du bureau de l’Agence France-Presse (AFP) en Haïti.

Journaliste depuis plus de 20 ans, il a l’expérience des salles de nouvelles de plusieurs médias haïtiens, de la radio au quotidien en passant par la télévision. Formé aux États-Unis, Clarens Renois estime que le manque de formation de ses confrères est en bonne partie la cause de ce problème. « Les formations sont plutôt générales. Comme les journalistes sont mal formés, on les paie n’importe comment », déplore-t-il.

Pierre Gardymy Avril, journaliste à la radio qui n’a suivi qu’un séminaire d’un mois, est payé environ 50 dollars par mois. En plus de couvrir l’actualité locale, il anime une émission… dont il paie le temps d’antenne à son employeur! « Pour animer mon émission, j’ai dû trouver des commanditaires pour qui je fais de la publicité. C’est une façon de m’assurer un revenu plus raisonnable. » Une pratique plutôt courante dans les radios haïtiennes.

Les moyens du bord

Pénurie de stylos, de cartes d’appel, de postes téléphoniques, d’ordinateurs, d’accès internet, de ressources documentaires, de moyens de transport, de matériel technique… la liste est sans fin. Plusieurs journalistes de la radio rédigent leurs bulletins de nouvelles à la main et utilisent encore des magnétocassettes au son effroyable en ondes.

Les maigres salaires sont investis dans l’achat de matériel. Évelyne, qui travaille pour une agence de presse en ligne, s’est ainsi procuré un petit magnétophone, à ses frais : « On m’avait promis de m’en envoyer un, ainsi qu’un ordinateur portatif. » Elle souligne tout de même que son employeur, à qui elle transmet ses informations par téléphone, lui fournit assez de cartes d’appel.

Avec un minimum de ressources, c’est un minimum d’effort qui peut être fourni par les journalistes. Souvent affectés aux conférences de presse plutôt qu’à une recherche sur des sujets qui nécessitent plus d’investissements, les médias sont truffés des annonces faites par les grandes organisations, celles qui peuvent se payer une conférence de presse. Avec buffet, puisque ce sera parfois le repas principal d’un journaliste. Les conversations entre collègues portent souvent sur les comparaisons entre les divers buffets.

Trop de conférences de presse, et une information réduite à un seul point de vue, souvent commenté. Il y a beaucoup d’opinion dans la presse haïtienne. « On investit le minimum dans les journalistes, qui ne font pas de l’information, mais de l’institutionnel », s’insurge le chef du bureau de l’AFP. Selon lui, il est presque inimaginable de penser que les médias électroniques, concentrés à Port-au-Prince, déboursent les sommes nécessaires à la réalisation de reportages dans les villes plus éloignées. Quelques efforts ont tout de même été constatés récemment dans la presse écrite. Mais c’est l’exception plutôt que la règle.

Il faut travailler fort pour remplir ses pages. Ainsi, on ne peut faire qu’une seule entrevue par jour, puisque l’état du transport en commun nécessite parfois une journée entière pour rencontrer un interlocuteur. Il faut aussi quitter la rédaction avant la tombée du jour, par prudence. Les conditions ne sont plus aussi dangereuses qu’elles l’étaient, mais restent difficiles. Les vieux routiers connaissent les pièges à éviter, mais sont constamment sur leurs gardes. Ainsi, relater une histoire d’inceste ou un crime exige de biffer les noms pour diminuer les risques de représailles.

Publireporters

Les journalistes deviennent malgré eux des porte-parole. Des organisations non gouvernementales ou dépendantes de l’État les invitent parfois à couvrir des conférences de presse « rémunérées ». Au quotidien, les organisations ou les acteurs économiques offrent des ristournes à ceux qui couvriront leur nouvelle, soulevant la question du conflit d’intérêts et de l’impartialité des journalistes. « On aimerait pouvoir mieux encadrer nos journalistes », déclare un rédacteur en chef sous le couvert de l’anonymat. « Je sais que la corruption existe. Mais ce n’est pas moi qui décide des conditions de travail », conclut-il en haussant les épaules, impuissant.

Les journalistes sont donc sollicités directement sur leur lieu de travail pour produire des articles à saveur de publireportage : lancement de nouveaux produits, ouverture ou expansion d’entreprises commerciales, anniversaires d’institutions privées, presque tout peut faire l’objet d’un reportage. Surtout quand l’argent est mis sur la table. Quelques journalistes ressemblent ainsi à de véritables gens d’affaires, d’où la perception que certains médias sont plus des commerces que des diffuseurs d’information au service du public.

Les journalistes aimeraient réclamer haut et fort de meilleures conditions de travail. Mais trouver un emploi en Haïti est déjà un exploit. Prendre le risque de le perdre? Un choix difficile, d’autant que la syndicalisation est nulle. Ils sont complètement démunis devant leurs employeurs. Dans ce pays sans loi, les licenciements n’ont pas besoin de justification. En apparence, peut-être, mais, dans les faits, tous les coups bas sont permis. Et les deux parties ne le savent que trop bien.

Le journaliste québécois André Lachance forme les journalistes haïtiens sous les auspices du projet Réseau Liberté, financé par l’Agence canadienne de développement international. Il se désole de voir tant de talent se perdre. « J’ai côtoyé bien des journalistes talentueux, mais ce sont les difficultés avant tout qui entravent leur travail. » Comment lire le soir sans électricité quand c’est son seul temps libre, faire des recherches sur le web quand il y a une file d’attente devant les ordinateurs, communiquer avec des intervenants quand un culte du secret les bâillonne. Comment, surtout, travailler à ses frais, d’autant plus qu’aucune compensation n’est offerte lorsqu’on se prend une balle en cours de reportage?

Pourtant, parler de ces conditions est un risque à prendre en Haïti. André Lachance en sait quelque chose. Lors de la publication d’un texte décrivant les conditions déplorables du journalisme dans la patrie de Dany Laferrière, il s’est retrouvé au cœur d’une controverse qui a fait couler beaucoup d’encre, en janvier dernier. Un texte dressant un portrait réaliste de la presse haïtienne lui a valu des critiques enflammées. Il a été accusé de racisme et de condescendance, et le ciel s’est déchaîné sur le formateur de Réseau Liberté. Mais, dans les coulisses, les journalistes haïtiens étaient plutôt heureux. « Ce qu’il a écrit, c’est vrai. C’est juste que, nous, on ne peut pas le dire », a dit un jeune journaliste, à l’instar de nombre de ses collègues.

mardi 29 janvier 2008

Qui protège le corps des femmes ?

Murielle Chatelier
Le Nouvelliste
Port-au-Prince, Haïti

Dans quelques semaines, des femmes se feront charcuter sur la table de charlatans improvisés en avorteurs. Dans quelques mois, d’autres femmes, à peine capables de s’alimenter, accoucheront plutôt d’une bouche supplémentaire à nourrir. Des conséquences de ces parties de jambes en l’air carnavalesques. Tout le monde est au courant de ces catastrophes à venir, mais personne ne pense à les prévenir.

Une fois de plus, cette année, les autorités concernées passent à côté du problème. Durant la période carnavalesque, les ébats sexuels seront toujours aussi innombrables et les imprudences se compteront encore par centaines. Aucun ministère n’a dit un mot là-dessus. Pas de sensibilisation à l’utilisation de préservatifs. Pas de promotion de la contraception féminine. Pas de mises en garde contre les grossesses non désirées. Pourtant, l’absence de contraception est l’une des principales raisons de l’avortement.

Dans l’attente de leur manne, les charlatans doivent même se réjouir. Rien ne sera fait pour les empêcher de commettre leurs crimes. Des femmes anxieuses viendront par dizaines cogner à leur porte pour se débarrasser à n’importe quel prix de leur fœtus. Infliger des sévices à leurs corps, voilà ce que ces profanes s’apprêtent à faire. Ces pratiques clandestines dévoilent une vérité : le droit à l’avortement est un choix au-dessus de toute loi. À quoi bon l’ignorer ?

L’avortement, une réalité ici comme ailleurs

Une étude publiée le 12 octobre 2007 par des instituts de recherche américains, en partenariat avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS), démontre que les femmes sont tout aussi susceptibles d’avoir recours à l’avortement dans les pays où il est interdit que dans ceux où il est légal.

Dans cette étude des évolutions de l'avortement entre 1995 et 2003, les experts relèvent que les taux d'avortement sont pratiquement égaux dans les pays développés que dans ceux en développement. D’un autre côté, plus de la moitié de ces interruptions volontaires de grossesse sont réalisées dans des conditions dangereuses. Sans grande surprise, 97 % de ces avortements à risques sont pratiqués dans les pays pauvres.

Qui enquête sur cette crise de santé publique en Haïti ? Qui tente d’apporter une solution à cette atrocité au niveau des droits de l’Homme ? L’approche du carnaval aurait été un moment propice pour lancer une campagne de sensibilisation, surtout quand on sait que le taux d’avortement augmentera en flèche après les festivités.

Le droit à l’avortement est une question sensible dans toutes les sociétés. Pas plus tard que lundi, la presse canadienne a soulevé à nouveau ce débat avec des médecins et des spécialistes, 20 ans après la décriminalisation de l’avortement par la Cour suprême du Canada.

Mais rester muet face à ce problème donne les résultats qu’on connaît : les femmes haïtiennes, tout comme celles des autres pays en développement, ne sont nullement protégées et leurs corps subissent les pires calomnies. Elles risquent leur santé et leur vie parce que trop de gens, ceux qui doivent changer les choses, gardent les yeux fermés sur leur sort.

Des naissances sans contrôle

Certaines femmes mèneront leur grossesse « de carnaval » à terme. Sans savoir comment prendre soin de leur nourrisson. Sans moyens, souvent, elles s’en débarrasseront. Les corps de ces innocents seront retrouvés noyés dans des cours d’eau ou abandonnés dans des bennes à ordures. Qui peut dire combien d’entre eux seront enterrés, assassinés, incinérés ? Parce dans un pays où les registres d’état civil existent à peine, tous les scénarios, aussi scabreux soient-ils, sont possibles.

Au carnaval, la débandade, la débauche et le besoin de luxure n’ont pas de sexe. Les femmes enfilent leurs petites tenues, d’un bout à l’autre du monde. Toronto, Brésil, Espagne… Peu de gens cachent leur intention de se vautrer dans les plaisirs de la chair. Mais ici, les conséquences de ces comportements libertins sont abominables.

Quelqu’un doit y penser.

vendredi 18 janvier 2008

La DGI se paie-t-elle la tête des contribuables?

Murielle Chatelier
Le Nouvelliste
Port-au-Prince, Haïti

Les employés de la Direction générale des impôts (DGI) ne sont pas reconnus pour leur courtoisie. Comme dans bien d’autres établissements haïtiens, la notion de service est inexistante dans cette institution. Et pour cause : sa qualité ne semble pas être une priorité ni même une préoccupation. Un constat établi sur la foi des propos tenus par le porte-parole de la DGI, M. Murray Lustin Jr.

Frantz se présente tôt à la DGI, vers 9 h a.m. De passage en Haïti - il réside aux États-Unis - il en profite pour renouveler sa plaque d’immatriculation. À son entrée dans un bureau, 13 employés sont à leur poste. À son grand étonnement, la plupart d’entre eux déjeunent et jasent. Il attendra ainsi 15 minutes avant qu’un employé daigne lui accorder son attention. « Je ne peux pas croire à la façon dont j’ai été ignoré par tous ces employés, alors que j’étais là pour payer des taxes », raconte-t-il, offusqué.

Questionné au sujet de ces employés qui déjeunent à leur bureau en présence des contribuables, le porte-parole de la DGI, M. Murray Lustin Jr, explique ainsi ces écarts de conduite : « L’heure régulière des pauses, ce n’est pas 9 h. Elles sont plutôt entre 12 h et 1 h. Mais je doute qu’il y ait un pourcentage significatif d’employés qui agissent de la sorte. Ce ne sont certainement que des cas isolés. Et depuis des mois, un projet de cafétéria traîne. J’espère qu’il se concrétisera enfin. Pour l’heure, les employés n’ont pas d’autres endroits pour manger ».

Muni du document nécessaire au paiement de son immatriculation, Frantz se rend ensuite à la caisse. Deux caissières assises à leur comptoir discutent d’elles-mêmes… pendant 15 minutes ! Après s’être livrées à cette activité de la plus haute importance dans le cadre de leur fonction, l’une d’elles reçoit enfin Frantz. « La caissière n’avait pas assez de monnaie dans sa caisse et elle m’a demandé de sortir pour acheter quelque chose à un vendeur ! » Doublement insulté, Frantz lui dit de garder la monnaie et de simplement effectuer le paiement. Ce qu’elle refuse avec obstination. Elle décide alors de mettre fin à la transaction.

Un contribuable, compatissant au malheur de son semblable, offre alors à Frantz de changer son argent. Il peut donc conclure sa transaction. « Le plus incroyable dans cette histoire, c’est le manque de respect des employés de la DGI. Ils ne semblent pas comprendre que sans nous, les contribuables, ils n’auraient pas d’emploi. Il est grand temps qu’ils comprennent qu’ils sont là pour nous servir, et non le contraire ! Et puis, où sont les superviseurs ? Qui s’assure que les employés travaillent », se demande-t-il.

Le porte-parole de la DGI défend ses employés : « Au moment de débuter la journée et de démarrer les opérations, les caisses sont vides. L’argent est déposé le jour d’avant à la banque. La DGI n’a pas d’autonomie financière ». Très bien. Mais n’y a-t-il pas de façon de corriger cette situation fort déplaisante pour les contribuables ? « Je vous ai dit ce que j’avais à vous dire, madame. »

Pauvre Évelyne !

Évelyne arrive tôt à la DGI. C’est la 5e fois en un mois qu’elle vient chercher le reçu des impôts fonciers qu’elle a payés. La responsable de son dossier l’accueille, la bouche graisseuse et remplie, et la fait patienter, le temps de terminer son déjeuner. Ensuite, elle prend une légère pause - elle s’assoit à son bureau et regarde autour d’elle, je me demande bien ce qu’elle fait ! - avant de rejoindre enfin la contribuable.

« Vous savez, dit-elle, j’ai essayé de contacter la personne pour le reçu, mais je n’arrive pas à la rejoindre. J’aimerais bien l’appeler maintenant, mais je n’ai pas de carte sur mon téléphone. Pouvez-vous me prêter le vôtre ? » Une employée de l’État qui demande à une contribuable de lui prêter son téléphone ? Le bureau n’en est pas équipé ? Quel manque de professionnalisme ! Mais pas pour M. Lustin, à qui le cas a dû être exposé à plusieurs reprises en raison de son apparente complexité (?) : « Je ne vois pas le lien entre le téléphone et le reçu ».

Entre-temps, une jeune fonctionnaire attire mon attention. Elle semble s’ennuyer à mourir. Elle ouvre et ferme des fenêtres sur son écran d’ordinateur. Une idée de génie semble alors lui traverser l’esprit : elle ouvre la section des jeux et commence son boulot. Jouer au solitaire. Qui n’aimerait pas être payé, avec les fonds publics, pour passer son temps à jouer aux cartes ? Parmi la quinzaine d’employés dans le bureau – très en désordre, avec des centaines de documents écornés qui s’empilent -, 3 déjeunent, 2 travaillent et les autres se tournent les pouces. Témoin de ma surprise, Évelyne tente de me rassurer : « C’est toujours comme ça. Pas besoin de s’étonner. S’ils travaillaient, là, il y aurait matière à surprise ».

Pauvre… de moi !

Pour les besoins de cette enquête, je me rends à la DGI me procurer un numéro d’identification fiscal (NIF). Deux préposées sont postées à l’entrée. L’une d’elle parle dans son portable - sa conversation sur le rhum semble follement passionnante - et me réfère à sa collègue en la pointant d’un doigt impatient. Est-il normal qu’une employée ne m’offre pas de service parce qu’elle est occupée à tenir une discussion qui n’a rien à voir avec son travail ? M. Murray semble croire que ce n’est pas un problème : « À ma connaissance, les portables ne sont interdits qu’au volant ».

Après avoir été accueillie par un gardien qui ne savait visiblement pas ce qu’est un NIF, pressée par deux gardiens nerveux dans une file d’attente et bousculée par les va-et-vient continuels de vendeurs de « collations », je me retrouve enfin devant le fonctionnaire qui débutera le processus d’attribution de mon NIF. Entre quelques appels téléphoniques personnels, il remplit le questionnaire nécessaire. Et je passe à un autre fonctionnaire, responsable de contre-vérifier les informations.

À ma grande stupéfaction, celui-ci s’arroge le droit de raturer ma nationalité canadienne pour la remplacer par celle haïtienne. « Monsieur, dis-je calmement, vous voyez bien qu’il est inscrit dans mon passeport que je suis née à Montréal et que je suis Canadienne. » « Madame, vous êtes en Haïti, alors vous êtes Haïtienne », me répond-t-il, sans lever les yeux vers moi. « Mais monsieur, insistai-je, je ne vis pas en Haïti. Vous voyez bien sur mon passeport que je vis à Montréal et que je viens occasionnellement au pays. » Et le dialogue de sourds se poursuit jusqu’à ce que, furieux et contrarié, il m’attribue à nouveau ma nationalité légale.

Qu’en dit M. Lustin ? « Selon la Constitution haïtienne, si vous êtes née de parents haïtiens, peu importe dans quel pays, vous êtes Haïtienne. » Le fonctionnaire ne m’a rien demandé. N’est-ce pas une erreur ? « C’est normal d’être tatillon, surtout si le fonctionnaire a un doute. » Tatillon signifie : être attaché aux détails des règlements. Est-ce le cas ici, quand le fonctionnaire s’approprie un pouvoir décisionnel, sans consulter le passé de la principale intéressée ? « Nous avons un département juridique au 3e étage pour ces histoires de conflit de nationalité. » Certes, mais je parlais du service.

Au terme de notre entretien, le porte-parole de la DGI me lance, comme une menace : « Je me souviens exactement de tout ce que je vous ai dit, madame ». Et je n’ai travesti en rien vos propos, M. Lustin.

Je laisse le soin aux lecteurs et aux contribuables d’apporter une conclusion à l’état du service à la clientèle à la DGI. Et, surtout, je vous laisse juger de l’attitude de cette institution à votre égard.